- ISLAM - Expansion de l’Islam
- ISLAM - Expansion de l’IslamLe phénomène de l’expansion de la religion musulmane est l’un des faits marquants et constants de l’histoire du monde depuis le premier tiers du VIIe siècle; l’aspect religieux s’est généralement doublé d’un aspect politique, offensif et impérialiste jusqu’au début des Temps modernes, défensif et anti-impérialiste face aux Occidentaux depuis la fin du XIXe siècle.L’expansion musulmane n’a pas été uniquement religieuse, militaire et politique: elle s’est également manifestée sur le plan intellectuel et artistique à diverses périodes, et les Arabes ont constitué un relais précieux entre la science antique et la Renaissance européenne.Enfin, l’expansion ne s’est pas limitée au peuple arabe: elle a touché d’autres peuples et, des rives de la Méditerranée et de la mer Rouge, elle a gagné les rivages puis l’intérieur de l’Afrique noire, le monde du Sud-Est asiatique; actuellement, elle ne paraît connaître ni arrêt ni même ralentissement.1. L’expansion arabo-islamiqueLes raisons initiales du succès de l’islam en ArabieL’expansion de l’islam aux diverses époques de l’histoire est inséparable de l’adhésion aux principes énoncés par le prophète Mu ムammad et, comme telle, elle a souvent pris l’aspect d’une conquête destinée à affirmer la suprématie de la religion musulmane; mais, en même temps, elle a pu apparaître comme la manifestation triomphante d’un peuple jusqu’alors tenu en marge des grands empires: c’est donc une réaction politique, sociale, et même économique, qui aboutit à des bouleversements considérables de l’ordre anciennement établi.Ces différents traits de l’expansion musulmane se trouvent déjà du vivant du Prophète, et notamment durant les dernières années de sa vie. Jusqu’en 628, il a mené, à côté de la prédication, un combat de caractère défensif, dirigé aussi bien contre les Qoraychites de La Mekke que contre les Juifs de Médine, combat dont le résultat essentiel a été la création de la communauté de ses partisans, la cohésion des premiers adeptes et des ralliés plus tardifs. Après 628 et jusqu’à sa mort, en 632, il a conduit contre les Qoraychites la lutte qui aboutit à leur soumission et à la conquête de La Mekke; en même temps, il obtenait le ralliement d’un grand nombre de tribus bédouines païennes et de communautés chrétiennes d’Arabie, sans que celles-ci fussent contraintes à la conversion: on a déjà une préfiguration de la coexistence de populations d’origines ou de religions diverses au sein du futur empire musulman; le rôle dominant est tenu par ceux qui ont adhéré à la vraie foi et qui constituent la communauté des fidèles, l’umma . Du temps de Mu ムammad, celle-ci conserve des éléments empruntés à l’ancienne organisation tribale préislamique, mais désormais le facteur primordial de l’union est constitué par la religion et non plus par la parenté; les dispositions d’ordre social ou politique contenues dans le Coran favorisent l’adhésion à la religion prêchée par le Prophète; de plus, le fait que cette religion ait été révélée en arabe est pour ses adeptes une confirmation qu’elle a été révélée pour eux, les Arabes; rapidement naît ce désir non pas de prosélytisme, mais d’affirmation, face aux adeptes d’autres religions, que les musulmans sont les détenteurs de l’orthodoxie et qu’ils doivent la faire triompher: c’est ainsi que vont se mêler, très tôt après la mort du Prophète, le religieux et le politique, caractéristique majeure de l’expansion musulmane.L’expansion hors d’ArabieSi, au lendemain même de la mort de Mu ムammad, des sécessions se produisirent parmi les tribus bédouines, mal assimilées à la communauté, rapidement, Abou Bakr, successeur du Prophète, a refait l’unité de l’Arabie et affirmé la suprématie de l’islam: ce fut à la fois une guerre de conquête et une entreprise religieuse, qui devait en quelque sorte servir de répétition à des actions plus ambitieuses. En effet, Abou Bakr, puis Omar ont lancé les jeunes forces musulmanes contre les empires byzantin et sassanide: leur succès a été si rapide, si complet et si inattendu qu’il demande une explication. Certains ont voulu chercher celle-ci dans l’enthousiasme de la foi, d’autres dans des nécessités économiques nouvelles que l’Arabie ne pouvait plus satisfaire. Mais ces explications ne suffisent pas. Les Bédouins qui s’enrôlent sous la bannière de l’islam le font autant par conviction religieuse que par promesse d’un riche butin; ils témoignent, au fur et à mesure que les succès se multiplient, d’une cohésion renforcée par la conviction qu’ils combattent pour une foi d’autant plus vraie qu’elle est victorieuse. Par ailleurs, ni les Byzantins, ni les Sassanides n’ont, au début, cru au danger arabe; eux-mêmes sortaient d’une lutte sanglante, épuisante, qui les avait opposés jusqu’en 628 pour la domination du Proche-Orient. Les deux empires étaient considérablement affaiblis et les difficultés intérieures ajoutaient encore à leur faiblesse: pour l’Empire byzantin, dirigé par Héraclius, les querelles religieuses prenaient le caractère de persécution exercée par les orthodoxes de Constantinople contre les monophysites et les jacobites de Syrie et d’Égypte, si bien que ceux-ci accueillirent avec ferveur les musulmans conquérants, qui se montraient beaucoup plus tolérants. En Mésopotamie, à la suite de la mort de Chosroès II (628), l’anarchie s’était installée, et Yazdadjird III, le souverain en place au moment de la conquête arabe, ne disposait que d’une autorité limitée et ne pouvait plus compter sur les tribus frontalières qui, de longue date, avaient formé une barrière contre les razzias bédouines: ces tribus, maltraitées par Chosroès II, avaient choisi le camp arabe et facilitèrent la pénétration musulmane en territoire sassanide.En l’espace de douze ans, de 633 à 645, la Mésopotamie, la Palestine, la Syrie et l’Égypte passent aux mains des Arabes. Quelques dates sont significatives: franchissement de l’Euphrate (635), occupation de Ctésiphon (638) et de Néhavend (642), prise de Damas (635, puis 636), d’Alep (637), de Jérusalem (638), de Pelouse (639), de Babylone d’Égypte (641) et enfin d’Alexandrie (642). À cette date de 642, mis à part quelques réactions locales, l’empire sassanide a pratiquement cessé d’exister (il ne poursuivra plus que des combats d’arrière-garde en Iran central et oriental) et l’Empire byzantin a perdu deux de ses plus belles provinces: la Syrie et l’Égypte. L’avance des musulmans ne s’est arrêtée en fait que devant des obstacles naturels: les montagnes du Taurus en Asie Mineure, celles de l’Iran oriental, les déserts de Cyrénaïque et de Nubie.Dès lors se pose aux conquérants le problème de l’administration des pays conquis. Dans le Coran, il n’existe aucune stipulation concernant les peuples vaincus: il faut donc s’en référer à l’exemple de Mu ムammad qui, suivant les circonstances, a expulsé, massacré ou réduit à l’état de tributaires les vaincus. En fait, le régime des tributaires n’a véritablement été organisé que sous les califes, et l’on distingue entre les païens, qui doivent se convertir sans pour autant devenir musulmans à part entière, et les gens de l’Écriture qui, moyennant certaines obligations, peuvent continuer à pratiquer leur religion sous la protection musulmane. Quant au massacre des vaincus, il n’a été pratiqué que sur les armées en déroute et sur les populations qui avaient opposé la violence aux conquérants; en effet, il n’était pas de l’intérêt des musulmans d’exterminer des populations qui se soumettaient à leur domination et qui, surtout dans les pays riches, apportaient une importante contribution à la vie économique de la communauté musulmane.Les premiers califes ont utilisé dans une assez large mesure les institutions locales en les adaptant à la législation islamique; en outre, dans les pays, comme la Syrie et l’Égypte, où la reddition fut conditionnelle, la situation antérieure fut respectée et les propriétaires fonciers conservèrent la propriété de leurs terres moyennant un impôt foncier, le khar dj ; mais les biens du basileus, de sa famille, des propriétaires en fuite ou morts au combat devinrent biens de l’État musulman qui en assura la gestion. En Mésopotamie, où la capitulation fut inconditionnelle, les terres furent confisquées ou, éventuellement, laissées à titre précaire à leurs anciens propriétaires contre le versement de l’impôt foncier et d’un tribut. En raison des revenus nouveaux et importants échus désormais à la communauté musulmane (et dont un cinquième revenait à All h et à son Envoyé, ou aux successeurs de celui-ci), il fallut mettre sur pied une administration financière – le d 稜w n – destinée à gérer les sommes provenant de la conquête, des tributs versés par les protégés, de la dîme, de l’impôt foncier, etc. Les combattants musulmans se virent attribuer le produit du butin, qui leur fut remis en nature, puis en espèces, pour leur solde ou leur pension. Le territoire musulman fut alors divisé en provinces (Syrie, Égypte, Iraq) dont chacune eut à sa tête un w l 稜 , gouverneur militaire et politique, assisté par des fonctionnaires qui furent recrutés parmi ceux de l’ancienne administration byzantine ou sassanide; cette adhésion du personnel des anciens empires fut facilitée par la tolérance des conquérants en matière de religion et même en matière de finances.Pour mieux tenir en main les territoires conquis, les califes ont utilisé deux moyens: l’implantation de villes nouvelles, peuplées d’Arabes, qui furent les centres politiques et militaires des provinces, et la distribution des terres, hors d’Arabie, aux musulmans. Les villes créées furent à l’origine essentiellement des bases militaires (amç r ): ainsi furent fondées Koufa et Bassora en Iraq, Fostat en Égypte. C’est à partir de ces amç r que l’influence arabe s’est répandue: elles ont attiré toute une population d’artisans et de marchands et, bien situées sur les routes de transit commercial, elles ont été des relais de commerce et des centres d’expansion religieuse, politique et linguistique.Dans cet empire en création, l’armée joue un rôle important: composée exclusivement de musulmans, placée sous le commandement des gouverneurs de provinces et répartie en groupes correspondant aux cadres naturels des Bédouins, elle constitue des djound , milices ou garnisons dispersées dans les provinces ou rassemblées dans les nouvelles bases militaires. Avec ces soldats musulmans – dont le calife est le premier –, les propriétaires fonciers et les hauts fonctionnaires arabes forment la communauté musulmane, privilégiée par son adhésion à l’islam mais aussi par les avantages issus de la conquête et par un traitement spécial en matière d’impôt. Chez ces musulmans «d’origine», islamisme et arabisme se confondent, et ils ont conscience de représenter l’élite qu’All h a désignée pour diriger le monde. Leur suprématie, ils l’imposent aux non-musulmans, les re’aya ou sujets, qui sont administrés localement par leurs propres chefs religieux ou leurs magistrats; sauf de rares exceptions, les notables ont conservé une bonne partie de leurs prérogatives.Avec le temps apparaît une nouvelle catégorie de population: celle des non-Arabes qui se sont convertis. Théoriquement, ils devraient jouir des mêmes droits et des mêmes avantages que les Arabes, mais les musulmans «d’origine» les maintiennent dans une condition inférieure et les considèrent comme les «clients» (maw l 稜 ) des tribus arabes; en particulier, ils ne sont pas inscrits sur les listes du d 稜w n et ne perçoivent rien des revenus créés par la conquête: ils ne sont donc pas totalement assimilés à la communauté musulmane, et cette condition devait plus tard les pousser à s’insurger contre le pouvoir et les notables.La deuxième expansion et l’empire omeyyadeAprès la première phase d’expansion et la période d’adaptation nécessaire à la situation nouvelle, le jeune État musulman a connu quelques décennies assez troublées, qui ont correspondu à la lutte pour le pouvoir entre plusieurs clans arabes. La victoire des Omeyyades, avec Mu‘ wiya, en 660-661, marque le succès d’une fraction de l’aristocratie mekkoise et une transformation, encore timide, de l’État théocratique arabo-musulman en un État séculier. Mais, surtout, les califes omeyyades ont lancé une deuxième vague d’expansion qui a été particulièrement forte sous les règnes de Mu‘ wiya (661-680), de ‘Abd al-Malik (685-705) et de Wal 稜d Ier (705-715). Les expéditions arabes se sont effectuées dans trois directions: l’Asie Mineure et Constantinople, l’Afrique du Nord et l’Espagne, l’Asie centrale et l’Inde. Le facteur religieux n’a pas été absent dans ces expéditions, et les Omeyyades ont su le mettre en avant pour inciter les Arabes à maintenir et développer leur expansion politique; les luttes contre les Byzantins ont pu faire figure de guerre sainte et les califes apparaître ainsi comme les champions de l’islam face aux Infidèles de l’extérieur, mais aussi face à leurs adversaires de l’intérieur.La frontière séparant le monde arabe du monde byzantin comportait un obstacle majeur, les montagnes du Taurus, qui interdirent longtemps toute installation permanente des musulmans en Asie Mineure; il y eut, au temps des Omeyyades, des incursions, des raids dans les provinces byzantines, mais à aucun moment il ne s’est agi de guerres de conquête. En revanche, la Cilicie et la région du haut Euphrate ont constitué un enjeu territorial farouchement disputé entre Grecs et Arabes. Mais l’exploit remarquable accompli par les musulmans à cette époque est la série de sièges menés contre Constantinople, la capitale byzantine au prestige incomparable. Il y eut trois périodes de sièges: la première se situe en 668-669, la deuxième de 674 à 680, la troisième de 716 à 718. Bien que non couronnées de succès, ces expéditions n’en ont pas moins prouvé, en leur temps, l’ardeur conquérante des musulmans et imposé aux Byzantins une attitude de prudence à leur égard.Un autre champ d’expansion a été constitué par l’Asie centrale et par l’Inde, à partir des bases musulmanes établies au Khorassan, province de l’Iran oriental. Après la conquête de l’Afghanistan, en 699-700, ce fut le tour des territoires de l’Asie centrale: le Tokharistan (705), la Sogdiane avec la ville de Boukhara (706-709), le Khwarezm et la ville de Samarkand (710-712) et le Ferghana (713-714). L’Asie centrale constitua alors l’extrême avancée de la poussée musulmane vers le nord-est et, face aux Turcs, elle fut organisée en région de défense et très rapidement islamisée: Boukhara et Samarkand devinrent de grands centres musulmans. Plus au sud, les généraux arabes envahirent le Béloutchistan (710) et de là passèrent dans le Sind et atteignirent l’Indus; le sud du Pendjab fut occupé en 713, mais la présence musulmane dans cette région lointaine ne fut pas alors maintenue et, pratiquement, ce fut l’Indus qui marqua la frontière entre l’empire arabe et l’Inde.Enfin le troisième terrain d’expansion, et non le moindre, fut constitué par l’Afrique du Nord et l’Espagne. Une première expédition, en 647, montra aux Arabes la faiblesse des Byzantins en Byzacène; une deuxième expédition eut peut-être lieu en 660-663, mais la plus décisive fut celle que conduisit ‘Oqba ibn N fi’ en 670 et qui aboutit à la fondation d’un camp militaire permanent en Ifr 稜qiya (Tunisie actuelle): Qayraw n (Kairouan); il est possible que ‘Oqba ait atteint l’Atlantique en 681-682 après avoir traversé toute l’Afrique du Nord, mais il périt au cours du voyage de retour à Biskra en 683. L’occupation définitive de ce que l’on appela plus tard le Maghreb (le Couchant, l’Occident) se produisit entre 695 et 708, à la suite de la prise de Carthage (695, puis 698), de la défaite des troupes berbères (702) et de l’implantation des Arabes au Maroc de 705 à 708. Après un bref temps d’arrêt, la progression reprit: en mai 711, ヘ riq ibn Ziy d passait en Espagne, occupait Cordoue puis Tolède (octobre-novembre 711). Cinq ans plus tard, la quasi-totalité de l’Espagne était aux mains des musulmans.Jusqu’au règne du calife ‘Abd al-Malik, les institutions mises en places antérieurement ont été maintenues. C’est avec ‘Abd al-Malik qu’interviennent les premières grandes modifications; celles-ci sont dues au fait que le nombre des Arabes a augmenté dans les provinces et que, en raison des conversions, les musulmans sont de plus en plus nombreux. En outre, ‘Abd al-Malik a moins subi que ses prédécesseurs l’influence byzantino-chrétienne: la conséquence en a été l’arabisation progressive de l’administration où des fonctionnaires arabo-musulmans côtoient désormais des fonctionnaires chrétiens, et la langue arabe devient la langue administrative dans toutes les provinces de l’empire; c’est à cette époque qu’apparaissent les premières monnaies d’or (d 稜n rs ) et d’argent (dirhams ) frappées par les musulmans. Le mouvement de distribution des terres, commencé sous les califats de Omar et de Othman, a continué largement, au profit des proches et des familiers des califes omeyyades et des gouverneurs. Les terres, à l’origine seulement concédées à ferme et à titre viager, deviennent de véritables propriétés privées, susceptibles de transactions commerciales: peu à peu se constituent de grands domaines privés que leurs propriétaires arabes, résidant dans la capitale, Damas, ou dans les grandes villes, laissent à des fermiers indigènes le soin d’exploiter; ce développement de la propriété privée – qui accapare les bonnes terres – entraîne une diminution des revenus tirés par l’État de l’impôt foncier. L’État augmente alors les impôts auxquels sont astreints les non-musulmans (impôt foncier ou khar dj , et capitation ou djizya ), ce qui a pour conséquences la multiplication des conversions et l’accroissement du nombre des maw l 稜 , qui, en principe, ne devraient plus payer que la dîme et les impôts religieux; mais, l’administration n’ayant pas tenu compte des modifications intervenues, les maw l 稜 manifestèrent leur mécontentement et beaucoup d’entre eux rejoignirent les mouvements d’opposition. Le calife Omar II (717-720) introduisit alors des réformes en faveur des maw l 稜 et des mesures restrictives à l’égard des dhimmi (protégés), qui furent systématiquement éliminés de l’administration, ce qui provoqua la désorganisation de celle-ci.L’empire omeyyade a été, à juste titre, qualifié d’empire arabe car il a, d’une part, étendu la suprématie arabe sur des territoires considérables, de l’Atlantique au Turkestan, et, d’autre part, il a maintenu le caractère arabe du gouvernement et continué les traditions littéraires de l’Arabie; il a en outre œuvré en faveur de la langue arabe comme langue commune, sans que disparaissent les langues locales. S’il est certain que les Arabes commencent à ressentir des influences extérieures, dues aux contacts avec les civilisations étrangères, le caractère nettement arabe de la civilisation omeyyade est cependant largement prédominant.Les Abbassides et le monde musulmanLe renversement des Omeyyades par les Abbassides, en 750, a des causes multiples; on l’a autrefois expliqué trop simplement par la victoire des éléments iraqo-iraniens sur les Syro-Égyptiens. Il faut, en fait, y discerner une opposition religieuse, des haines familiales, le mécontentement social, particulièrement vif chez les maw l 稜 , l’incapacité des Omeyyades à adopter de nouvelles mesures pour répondre aux transformations internes de l’empire.Le changement apparaît moins dans l’éviction d’une dynastie par une autre – toutes deux sont arabes – que dans l’accession aux organes du pouvoir d’éléments musulmans non arabes, souvent iraniens, dans la transformation de l’administration, le développement considérable des villes, l’expansion commerciale et, enfin, un essor intellectuel original. La volonté de changement s’est manifestée de façon tangible par le choix de la nouvelle capitale: Damas a été abandonnée au profit de Bagdad, fondée en 762; ce changement correspond à une modification de caractère politique, mais aussi à un transfert des principaux axes commerciaux. Le califat abbasside n’est pas caractérisé par une expansion territoriale: il n’y a pratiquement plus de guerres de conquête, mais plutôt de petites guerres de frontières, surtout contre les Byzantins, et des combats défensifs, pas toujours victorieux, contre de nouveaux venus dans les territoires musulmans, notamment des Turcs dans la partie orientale. En revanche, deux autres formes d’expansion prédominent: l’expansion commerciale, qui impose la suprématie économique de l’Islam de l’Atlantique aux frontières de l’Inde, et l’expansion intellectuelle, qui a consacré l’arabe comme langue de gouvernement et de culture.L’expansion commerciale est frappante par son ampleur; les Abbassides tiennent la position clé du grand commerce de cette époque: l’isthme séparant la Méditerranée de l’océan Indien; la fondation de Bagdad a favorisé l’appel de marchandises vers l’Iraq, qui devient la plaque tournante du commerce du Proche-Orient avec ses ports de Ba ルra (Bassora) et d’Obollah; de là, les navigateurs et les marchands musulmans gagnent l’Inde occidentale où ils ont créé des comptoirs et des relais; plus à l’est, ils touchent Ceylan où ils sont en contact avec les marchands chinois; peut-être même certains d’entre eux sont-ils allés jusqu’en Chine. Par voie de terre, les routes mènent de l’Iraq vers la Syrie et l’Égypte, mais aussi vers les territoires byzantins et vers l’Arménie et, par l’Iran, vers l’Asie centrale où marchands arabes, iraniens, turcs, chinois, indiens se côtoient et procèdent à des échanges. Il est possible que des commerçants arabes aient aussi été en rapport avec des marchands baltes et scandinaves: on a trouvé des monnaies musulmanes sur les rives de la Baltique, mais cela ne suffit pas à prouver l’existence de comptoirs musulmans, ni même d’un commerce permanent. Enfin, après la conquête des îles de Crète et de Sicile, la Méditerranée est un véritable lac musulman, car l’Europe chrétienne n’y joue alors qu’un rôle réduit. En Méditerranée occidentale, l’Ifr 稜qiya tient une grande place comme relais entre l’Occident et l’Orient musulman, et aussi comme point d’arrivée des principales pistes caravanières du Sahara, tandis que d’autres pistes aboutissent à Sidjilmassa, dans le Maghreb occidental. Ni Byzance, ni l’Europe ne peuvent alors rivaliser avec l’empire abbasside, qui, grâce à ses ressources naturelles, ses matières premières, ses revenus financiers, détient les clés du commerce local et international; cette activité commerciale se double d’une activité industrielle, qui est aussi un facteur d’expansion, et, plus encore, d’un commerce de l’argent et d’un système financier qui donnent d’immenses facilités aux agents de la vie économique.Plus remarquable encore est le développement intellectuel et scientifique qui, apparu au VIIIe siècle, s’est prolongé jusqu’à la fin du XIe siècle et a touché tous les peuples de l’empire. La caractéristique de cette expansion intellectuelle, c’est que la langue arabe est désormais adoptée par tous les écrivains, penseurs, philosophes de l’empire, même par les non-musulmans; c’est là un des résultats de l’expansion militaire puis humaine, de l’assimilation des populations vaincues; l’islam y a joué un grand rôle, par l’accroissement du nombre des convertis et par le fait que la langue du Coran est devenue la langue commune à tous les sujets de l’empire: il n’y a plus qu’une littérature d’expression arabe.Bagdad a été le principal centre de cette activité intellectuelle, grâce à la présence de la cour et des notables; là se rencontrent Arabes, Iraniens, Indiens, des chrétiens qui traduisent en arabe les œuvres grecques, des Sabéens, païens tolérés qui contribuent au développement de l’astronomie et des mathématiques. De Bagdad, sciences et littérature se répandent dans tout le Vieux Monde, et notamment, par l’intermédiaire de la Sicile, de l’Italie du Sud et de l’Espagne, vers l’Europe chrétienne encore mal dégrossie. Il ne saurait être question ici d’entrer dans le détail de cette expansion intellectuelle qui apparaît, pendant plus de deux siècles, comme un jaillissement sans cesse renouvelé, marqué par un phénomène d’acculturation réciproque entre Arabes et non-Arabes et qui, plus que la conquête, a été l’élément essentiel de la création et de la permanence du monde musulman.Ce tableau de l’empire abbasside correspond à cette époque que les historiens postérieurs ont considérée comme «l’âge d’or» de l’Islam. Mais il ne saurait faire oublier que si de brillants succès ont été remportés dans certains domaines, il n’en existe pas moins des problèmes de tous ordres: religieux, politiques, sociaux, ethniques même, qui se manifestent par des insurrections et par la création, tant en Afrique du Nord qu’en Orient, d’émirats autonomes fondés sur des ethnies musulmanes non arabes. Mis à part la sécession de l’Espagne, qui remonte aux débuts de l’empire abbasside, dans une première phase ces émirats berbères, iraniens ou turcs ne visent pas à l’indépendance complète et reconnaissent l’autorité spirituelle du calife. Mais, au Xe siècle, on assiste à un fractionnement du monde musulman: en Afrique du Nord apparaît la dynastie fatimide qui, à la fin de ce siècle, s’établit aussi en Égypte et en Syrie; en Espagne, les Omeyyades ont su constituer, au IXe et, plus encore, au Xe siècle, un État brillant et homogène dont l’influence sur l’Europe occidentale a été grande; ils continuent à affirmer hautement leur indépendance vis-à-vis de Bagdad, même si les relations commerciales sont intenses entre l’Espagne et le Proche-Orient. Dans l’Est enfin, les gouverneurs abbassides, puis les émirs ont fait appel à des mercenaires turcs, chassés de leurs terres de haute Asie par les Chinois et par les Mongols; ces mercenaires s’islamisent peu à peu, jouent un rôle de plus en plus grand dans l’armée et l’administration des émirats; finalement ils s’emparent du pouvoir et créent à leur tour des dynasties souveraines dont la plus remarquable a été celle des Ghaznévides, fondée en Afghanistan, à Ghazna, par un ancien esclave turc et dont la personnalité la plus brillante a été Mahmoud (999-1025). Ces Ghaznévides ont bientôt contrôlé toutes les provinces orientales de l’empire abbasside et sont passés en Inde où ils ont soumis le Pendjab et le Cachemire; la cour de Ghazna fut cependant, au début du XIe siècle, un foyer de culture et de raffinement où ont brillé deux des hommes les plus célèbres de la pensée musulmane, Fird s 稜 et al-Bir n 稜.Le tournant du XIe siècleLa voie ouverte par les Turcs ghaznévides est bientôt suivie, au Khorasan et en Iran central, par d’autres tribus turques d’Asie centrale qui font leur entrée dans le monde musulman, se mettent au service de différents souverains et émirs et, le cas échéant, prennent le pouvoir ou imposent leur autorité: tel est le cas des Turcs seldjoukides qui, après avoir défait et rejeté vers l’est les Ghaznévides (1025), sont rapidement maîtres de l’Iran et interviennent à Bagdad, où ils se posent en défenseurs du calife abbasside face aux entreprises des Fatimides sh 稜‘ites; ils sont désormais tout-puissants dans l’Orient abbasside et les croisés les trouvent en face d’eux à la fin du siècle: le Proche-Orient commence à échapper des mains des Arabes pour passer dans celles des Turcs; grâce à eux, l’expansion musulmane va prendre un nouvel essor.Dans une autre partie du monde musulman, en Afrique du Nord, après le départ des Fatimides pour l’Égypte, le pouvoir est passé à des dynasties berbères. Peu avant le milieu du XIe siècle, l’une de celles-ci, les Zirides, rompt avec les Fatimides et se place sous l’autorité du calife de Bagdad. La réponse fatimide est violente: c’est l’invasion hil lienne. Deux cent mille Bédouins de haute Égypte, les Banou Hil l, sont expédiés au Maghreb en 1051-1052: ils triomphent sans peine des Zirides, envahissent le Maghreb oriental, puis le Maghreb central, refoulent les paysans sédentaires vers les massifs montagneux ou vers les villes qui s’isolent, se renforcent et deviennent indépendantes. Cette vague arabe a été suivie par d’autres, et cette invasion a contribué à accentuer l’arabisation de l’Afrique du Nord, à transformer les conditions de la vie économique; mais finalement un équilibre s’est établi entre Arabes et Berbères, entre nomades, paysans et citadins; une autre conséquence a été de faire prendre conscience aux Maghrébins de l’importance de la côte et de l’activité marchande maritime, y compris la piraterie.Enfin, en Espagne, vers 1030, le brillant califat omeyyade de Cordoue connaît lui aussi son déclin: à sa place apparaissent de petits États locaux, dirigés par des Berbères dans le Sud, des Slaves dans l’Est et des Andalous ailleurs. Là aussi la primauté arabe disparaît au profit de non-Arabes. Ce phénomène ne connaît qu’une exception, l’Égypte, où les souverains fatimides conservent un caractère arabe prédominant, encore que des Arméniens convertis à l’islam jouent auprès d’eux un rôle non négligeable.Au moment où se produit cette mutation dans le monde musulman, le monde chrétien, pour sa part, commence à réagir contre la domination ou l’emprise des musulmans: on peut parler, dans le courant du Xe et du XIe siècle, d’une expansion chrétienne qui se manifeste d’abord au Proche-Orient où les Byzantins envoient des expéditions de reconquête sur le limes syrien; Byzance ranime aussi son économie en intensifiant ses échanges avec le monde slave et l’Asie centrale; plus à l’ouest, les cités italiennes lancent des navires sur la Méditerranée et s’introduisent dans le trafic maritime, en liaison avec les Fatimides en Ifr 稜qiya puis en Égypte: c’est le début, encore timide, de la fortune de Venise. En Espagne, les souverains chrétiens du Nord entreprennent la reconquête des territoires tenus par les musulmans: la Reconquista est en route. Enfin, et surtout, le monde occidental se lance dans les croisades, et, pour la première fois depuis des siècles, porte l’offensive sur une terre que les musulmans détiennent depuis le VIIe siècle, ce Proche-Orient qui a vu s’établir et prospérer la grandeur de l’Islam. Mais cette action chrétienne entraîne à son tour une réaction musulmane qui va se traduire par une reprise de l’expansion.2. Du Moyen Âge aux Temps modernesLa nouvelle expansion musulmane, œuvre des non-ArabesLa nouvelle vague d’expansion, qui se situe entre le XIe et le XIVe siècle, n’a pas le caractère spectaculaire de conquête territoriale qu’avaient revêtu les deux premières vagues. Mais d’autres caractéristiques y tiennent une place importante. C’est d’abord le rôle des non-Arabes – Turcs ou Mongols en Orient, Berbères en Occident –, le plus souvent d’origine nomade, et ces nomades ne sont pas les destructeurs systématiques que l’on a trop souvent dépeints; ensuite tous sont sunnites, c’est-à-dire qu’ils professent l’islam orthodoxe; au nom de celui-ci, et en raison de la défaillance des Arabes, ils se proclament les champions de l’islam face à tous ses adversaires extérieurs et intérieurs. Enfin, ils portent l’islam dans des territoires où il n’a pas pu s’établir ou pénétrer: Asie Mineure, Afrique noire. Dans l’Inde, à la suite des Ghaznévides, d’autres dynasties turques trouvent un terrain d’expansion: tels sont les Ghourides à qui l’on doit la grande mosquée de Delhi où se manifestent, dans l’art islamique, les premiers emprunts indiens, et surtout les Khwarezmiens qui, au XIIIe siècle, exercent leur domination depuis les frontières de l’Iraq jusqu’à l’Asie centrale et du Caucase au golfe Persique. Mais les uns et les autres vont devoir affronter la poussée mongole, à laquelle ils résisteront d’autant moins que les États qu’ils ont constitués sont peu ou mal administrés et livrés aux ravages de bandes de Turcomans rétifs à toute autorité gouvernementale.Plus à l’ouest, les succès des Turcs Seldjoukides en Iran et en Iraq se prolongent en Asie Mineure où une branche cadette pénètre profondément et parvient, non sans difficultés, à s’imposer sur le plateau anatolien, créant ainsi l’État seldjoukide d’Anatolie ou de Roum, point de départ d’une implantation turque permanente. Les Byzantins sont chassés d’un territoire qui appartenait de fondation à leur Empire et ils vont désormais livrer une lutte défensive contre les Turcs. Contrairement aux dynasties d’Asie centrale et de l’Inde, les Seldjoukides sont fortement organisés, leur administration est solide et leur armée redoutable; ils ont su allier à leur génie propre les qualités administratives des Iraniens (incarnées par le vizir Nizam al-Moulk) et nombre de traditions arabes, si bien que ce n’est pas par hasard que le monde musulman a eu plus tard l’Anatolie turque pour base de départ d’une nouvelle expansion.Il faut également noter que, pour la première fois, les musulmans sont en contact direct non plus seulement avec les chrétiens de Byzance ou d’Orient, mais aussi avec les chrétiens d’Occident, les «Latins» venus avec les croisades. Certes, les contacts entre Latins d’une part, Seldjoukides, Zengides et Ayyoubides d’autre part, ont été assez limités: ils n’en constituent pas moins un aspect nouveau des relations entre les deux religions et l’amorce du développement commercial entre l’Orient méditerranéen et les pays d’Europe, par l’intermédiaire des cités marchandes italiennes. Il convient cependant de ne pas exagérer la portée de ces contacts, qui sont loin d’avoir eu l’ampleur de ceux qui existaient en Occident, par la voie de la Sicile et de l’Espagne.En Afrique du Nord, bouleversée par l’invasion hil lienne, apparaît peu après le milieu du XIe siècle une tribu nomade qui, au nom d’un islam rénové et purifié, entreprend de chasser les hérétiques, de refaire l’unité musulmane et d’accroître ensuite la lutte contre les chrétiens d’Espagne: ce sont les Almoravides, nomades berbères qui prennent vite goût à la vie citadine, au luxe et au raffinement espagnols, si bien qu’ils sont à leur tour, au début du XIIe siècle, éliminés par de nouveaux puristes musulmans, les Almohades, au rigorisme religieux beaucoup plus poussé. Almoravides et surtout Almohades ont reconstitué en Afrique du Nord l’unité des musulmans autour d’un islam sunnite rénové qui triomphe du Maroc à l’Ifr 稜qiya et étend momentanément sa domination sur des peuples au sud du Sahara, comme ceux du Gh na. De plus, les Almohades sont les artisans d’un renouveau administratif et artistique; la sécurité règne et favorise l’essor du commerce depuis l’Espagne jusqu’au Soudan, et c’est par le biais du commerce que, peu à peu, l’islam s’insinue en Afrique noire: au Sénégal, au Mali, à Gao, au Bornou et jusqu’au Tchad. Cette islamisation de l’Afrique noire est encore limitée et ne touche pas la majorité des populations; toutefois l’élan est donné et la pénétration de l’islam sur ce continent ne fera que s’accentuer aux XIIIe et XIVe siècles.En revanche, en Espagne, les Almohades ne peuvent contenir la poussée chrétienne et la Reconquista se déroule progressivement; au milieu du XIIIe siècle, les musulmans ne tiennent plus que le royaume nasride de Grenade, qui résiste jusqu’à la fin du XVe siècle. De même, les souverains normands de l’Italie du Sud et de Sicile portent dès le XIIe siècle le combat en Ifr 稜qiya, en une croisade qui ne remporte pas les succès escomptés, pas plus que n’en remporteront au siècle suivant les entreprises du roi de France, Saint Louis, en Égypte et en Tunisie.Le principal assaut que l’Islam subit aux XIIIe et XIVe siècles ne vient pas des puissances chrétiennes, mais des Mongols. Les héritiers de Gengis khan, après avoir conquis la haute Asie, l’Asie centrale, la Chine et même l’Europe orientale, s’attaquent au monde musulman: l’Iran tombe entre leurs mains en 1231; en 1258, Hulégu détruit Bagdad, ravage l’Iraq, détruit le califat; deux ans plus tard, c’est le tour de Damas, mais les Mamelouks d’Égypte interviennent et rejettent hors de Syrie les Mongols qui continuent cependant à camper en Anatolie orientale, en Iraq et en Iran. Après quelques décennies de répit, l’attaque mongole reprend avec Tamerlan, et les ravages, les destructions sont encore pires qu’avant. Mais l’offensive n’a plus le même caractère: alors qu’Hulégu s’était montré farouche adversaire de l’islam, ses successeurs, les Ilkhans de Perse, ont finalement adopté cette religion et ont contribué à la diffuser dans les territoires au nord de la mer Noire et du Caucase, chez les Mongols du Qiptchaq. Cependant la pression mongole connaît des obstacles, du fait notamment des Turcomans, des Turcs d’Asie Mineure et des Mamelouks d’Égypte. En fait, l’islam des Mongols a été peu profond, et surtout il a varié du sunnisme au sh 稜‘isme, montrant ainsi qu’il n’était qu’une attitude d’opportunité. Le sh 稜‘isme n’a finalement prévalu qu’en Iran, alors que partout ailleurs en Orient le sunnisme triomphait: l’Iran devait désormais occuper une place à part dans le monde musulman.Ce qui apparaît comme important, dans cette période mongole de l’Islam, c’est l’essor nouveau que connaissent les routes commerciales du Proche-Orient contrôlées par les Mongols: celle du nord par la Russie et le Turkestan, celle du centre nord par l’Asie Mineure, l’Iran et le Khorassan, celle du centre sud par la Cilicie, l’Iraq et le golfe Persique; seule leur échappe la voie du sud aux mains des Mamelouks d’Égypte. Enfin, il faut bien constater que la domination mongole n’a pas eu de conséquences durables pour les populations musulmanes conquises ou soumises qui, au contraire, ont réussi à exercer une influence culturelle, intellectuelle et artistique, de l’Asie Mineure à l’Inde.Une partie du monde musulman oriental demeure hors de l’orbite mongole: le territoire des Mamelouks, qui comprend l’Égypte et la Syrie. Ces Mamelouks – d’origine circassienne, géorgienne ou turque – n’ont pas cherché à étendre leur domaine; en revanche, ils ont contribué à contenir les Mongols et, surtout, ils ont été les agents d’une remarquable expansion commerciale qui a conduit les marchands arabes des rives de la Méditerranée orientale et de la mer Rouge vers le Yémen, les côtes orientales de l’Afrique, les comptoirs de l’océan Indien, et aussi Byzance et la mer Noire, à la recherche des esclaves, des matières premières qui font défaut aux Mamelouks; ils sont en outre des intermédiaires bien placés dans le commerce des produits asiatiques – indiens et chinois – recherchés maintenant par les Européens. C’est en grande partie par les marchands que l’Islam a conquis peu à peu l’Afrique orientale, l’Inde méridionale et commencé à pénétrer en Indonésie, à partir des comptoirs côtiers; certes, à cette époque, la pénétration musulmane est encore limitée, mais elle est en route et ne pourra plus être arrêtée. En Afrique, où le phénomène est beaucoup plus vivace, les voies d’expansion de l’Islam, qui ont été à l’origine dirigées du nord vers le sud, à partir des villes du Maghreb, de Tripolitaine et d’Égypte, vers les royaumes du Ghana, du Mali, des Songhaï ou de la Nubie, tendent à prendre des directions ouest-est, et, finalement, par le Tchad et le Soudan vers le Nil, entrent en contact les unes avec les autres, tissant ainsi un réseau que parcourent marchands et propagateurs musulmans: l’Islam d’Afrique noire est désormais une réalité.L’expansion au temps des OttomansLa domination mongole sur le monde musulman oriental s’atténue au XVe siècle et trouve alors dans l’Inde son terrain d’application; à la même époque, les Mamelouks connaissent une anarchie gouvernementale qui annihile toute activité autre que commerciale. L’Afrique du Nord se scinde en plusieurs États sans grande influence. On pourrait parler d’un assoupissement, d’une stagnation politique de l’Islam si n’apparaissait, dans la seconde moitié du XIVe siècle, une puissance nouvelle qui, à son tour, reprend à son compte la grande épopée musulmane et, pour la première fois, va faire trembler l’Europe en portant la guerre sur son sol: il s’agit de la dynastie ottomane.L’Empire ottomanLes Ottomans (ou Osmanlis, du nom de leur éponyme, Osman) étaient à l’origine une petite tribu turque établie, vers la fin de l’État seldjoukide de Roum, en Anatolie occidentale. Progressivement, en profitant de la disparition des Seldjoukides, de l’éloignement des Mongols, des rivalités entre tribus turques et turcomanes d’Asie Mineure, du recours par les Byzantins à des mercenaires, les Ottomans ont su constituer un domaine de plus en plus vaste qui, à la fin du XIVe siècle, comprend toute l’Asie Mineure occidentale et, après leur venue sur le continent européen en 1354, une bonne partie de l’Europe balkanique d’où ils menacent directement Byzance. Cette expansion ottomane revêt, dès ses débuts, des caractères nouveaux. Tout d’abord la conquête est menée au nom de la propagation de l’islam en territoire infidèle, non pas dans un esprit de conversion, de prosélytisme, mais de supériorité des musulmans turcs sur les chrétiens, que l’on ne cherche pas à convertir; ensuite, cette conquête est organisée: les Ottomans n’ont pas été les barbares qu’une certaine propagande européenne s’est plu à représenter; soldats rudes, ils l’ont été, mais aussi administrateurs avisés, qui ont tenu compte largement de la situation préexistante dans les pays conquis pour mettre au point un système nouveau ne défavorisant ni le vainqueur, ni le vaincu: cadres, notables, religions, langues, rien, dans une première phase, n’a été bouleversé, ce qui a facilité une certaine adhésion des populations aux nouveaux maîtres. Ceux-ci disposent d’ailleurs d’une armée solide, recrutée à l’origine uniquement parmi les Turcs et animée de l’esprit gh z 稜 (la conquête religieuse), ensuite constituée au moyen de la devchirmè (le ramassage) de jeunes chrétiens des Balkans arrachés à leurs familles puis islamisés et turquisés: ce sont les janissaires (yéni tchéri – la nouvelle troupe) qui, durant plus de deux siècles, ont assuré la suprématie des armées ottomanes. Enfin, il faut bien noter que, pour la première fois, la conquête touche l’Europe continentale byzantine ou sous influence byzantine, jusqu’alors à l’abri des entreprises musulmanes: Grecs, Bulgares, Macédoniens, Serbes passent sous la domination ottomane et, à la fin du XIVe siècle, le sort de Constantinople paraît devoir suivre celui du reste de l’Empire. Mais l’arrivée soudaine de Tamerlan en Asie Mineure détourne les Ottomans de leur objectif: la défaite subie par le sultan Bayézid à Ankara en 1402 sauve la capitale grecque, mais ne compromet que momentanément la situation de l’Empire ottoman en Asie Mineure; il est à remarquer qu’alors les populations européennes soumises n’ont pas bougé ni cherché à recouvrer leur indépendance, ce qui témoigne en faveur des Ottomans et de leur système de gouvernement. Après la parenthèse d’Ankara, l’essor reprend, et cette fois c’est la chute de Constantinople, la fin de l’Empire byzantin, la constitution d’un grand empire musulman à cheval sur l’Europe et l’Asie, les Européens convaincus de la supériorité ottomane par trois graves défaites subies lors des croisades antiturques à Kos sovo (1389), Nicopolis (1396) et Varna (1444).Il est plus important de noter que le système gouvernemental ottoman a, d’une part, apporté des satisfactions aux Turcs victorieux et, d’autre part, su ménager les particularismes des peuples soumis, sous réserve que l’ordre soit maintenu, que les impôts rentrent et que le recrutement de l’armée s’effectue régulièrement; pas de persécution religieuse, de conversion forcée: au contraire, une grande tolérance – qui contraste avec l’autoritarisme religieux des Byzantins – allant jusqu’à accueillir dans l’empire, à Salonique et à Istanbul (nouveau nom de Constantinople) les Juifs chassés d’Espagne ou d’Europe centrale. L’Empire ottoman constitue, dès le XVe siècle, un État remarquablement organisé: à la personnalité de sultans hors de pair s’ajoute une administration policée dont les règles sont tirées à la fois du fonds musulman et du fonds byzantin ou slave, mais où les traditions turques tiennent une large place: les qanounnamès (règlements) édictés à partir du milieu du XVe siècle sont un reflet de cette organisation administrative.Les succès remportés, la puissance acquise donnent aux Ottomans, à l’orée du XVIe siècle, la tentation d’étendre leur empire, de devenir les maîtres du monde méditerranéen et du monde arabe; l’effacement des Mongols et des Mamelouks leur procure l’occasion cherchée. Sélim Ier (1512-1520) s’empare de l’Anatolie orientale, de la Syrie, de la Palestine et de l’Égypte, obtient le ralliement du Hedjaz et des villes saintes dont il devient le protecteur. Son fils et successeur Soliman le Magnifique (que les Turcs surnomment le Législateur, 1520-1566) y ajoute l’Iraq, Aden, une partie de l’Afrique du Nord (par l’intermédiaire des corsaires), et, surtout, se pose comme le maître de l’Europe balkanique et centrale, atteignant l’Adriatique, les faubourgs de Vienne et les frontières de la Pologne. C’est dans la perspective d’un nouvel affrontement entre l’Islam et la Chrétienté qu’une certaine historiographie a replacé les luttes entre Soliman le Magnifique et Charles Quint, entre Sélim II et Maximilien d’Autriche. On a voulu voir dans la victoire remportée par les flottes chrétiennes à Lépante, en 1571, le retournement de la situation en faveur de l’Occident: c’est seulement un événement dont le mérite essentiel est d’avoir montré aux Européens que les Ottomans n’étaient pas invincibles. Dès cette époque, et durant tout le XVIIe siècle, nombre de voyageurs européens ont parcouru l’empire turc et beaucoup d’entre eux en ont retiré une impression extrêmement favorable. La découverte et l’exploitation des nouvelles routes maritimes et des terres du Nouveau Monde ont changé les données du problème et enlevé au monde turco-musulman, surtout à partir du XVIIe siècle, une bonne part de son importance stratégique et économique. À cela se sont ajoutés une décadence de l’administration et du pouvoir, une désorganisation des structures économiques, un affaiblissement de l’armée; ces facteurs de déclin sont renforcés par l’expansion industrielle et commerciale de l’Europe; par conservatisme, par incapacité à comprendre la situation nouvelle, les Ottomans connaissent un recul économique et politique très net à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle.Pourtant cet empire a été un grand empire, et pas seulement sur le plan militaire; les Ottomans ont fait œuvre d’administrateurs et aussi de bâtisseurs: routes, ponts, aqueducs, bains, mosquées, madrasas sont là pour en témoigner. Leur art n’est pas une reproduction servile de l’art arabo-musulman ni de l’art byzantin: ils ont su lui donner des caractères et des aspects spécifiques tels que l’on peut, à juste titre, parler d’un art ottoman comme on a pu parler d’un art omeyyade ou d’un art mamelouk. Dans le domaine de la pensée, ils ont su s’ouvrir, quoique tardivement, à la connaissance du monde européen, et c’est en Turquie, à Istanbul, qu’apparaît au début du XVIIIe siècle la première imprimerie musulmane en caractères arabes. Mais ces ouvertures ne sont pas suffisantes pour transformer un monde sclérosé, enfoncé dans la routine, victime d’un complexe de supériorité qui lui masque les réalités.Le reste du monde musulmanCependant, l’Empire ottoman ne saurait faire oublier le reste du monde musulman. En Anatolie orientale et en Iran occidental, à Tamerlan et à ses descendants immédiats ont succédé des dynasties turcomanes, tantôt sunnites, tantôt sh 稜‘ites; les tenants du sh 稜‘isme l’emportent finalement avec la dynastie séfévide qui, en Iran, a réussi a constituer un État fort face aux Ottomans sunnites et a tenté de se faire reconnaître aux yeux de certaines puissances européennes comme un partenaire aussi valable que son voisin turc. Ce jeu diplomatique et politique entraîne l’intervention des Ottomans, puis des Russes, la sécession de l’Afghanistan qui, après le règne de Nadir Chah, devient indépendant tout en se rapprochant des Mongols de l’Inde ; la rivalité anglo-russe fera plus tard de l’Afghanistan et de l’Iran des États tampons où les deux puissances s’affronteront politiquement et économiquement. Quant à l’Asie centrale, dernier lambeau de l’empire de Tamerlan, elle se scinde en deux grandes zones situées l’une dans l’orbite de la puissance russe, l’autre dans celle de la puissance chinoise: mais ces deux zones ont en commun d’être peuplées par une immense majorité de Turcs ou de Turcomans tous islamisés, qui leur ont donné leur nom: le urkestan.L’un des faits majeurs de l’expansion musulmane au XVIe et au XVIIe siècle, en dehors des Ottomans, est la constitution de l’Empire des Grands Moghols qu’un descendant de Tamerlan, Babour, fonde en Inde dans le deuxième quart du XVIe siècle. Les sultans de cette dynastie – dont Akbar (1556-1605) et Awrangzeb (1658-1707) sont les plus célèbres – imposent une domination musulmane à la quasi-totalité du continent indien; mais cette domination ne pénètre pas en profondeur et les sultans ne peuvent, en fait, gouverner qu’au moyen de compromis avec les traditions religieuses et sociales de l’Inde. De plus, pour maintenir un pouvoir qui a besoin d’une armée forte, donc de larges moyens financiers, les sultans ouvrent l’Inde au commerce international, en pratiquant une politique d’exportations qui, certes, leur apporte des revenus, mais attire aussi les convoitises des puissances européennes: Portugais, Hollandais, Français, Anglais interviennent, et ces derniers, profitant de l’anarchie née au début du XVIIIe siècle, visent à s’y tailler un empire, ce qui est un fait accompli avant la fin du siècle.Plus à l’est, les marchands musulmans – qui ne sont plus seulement des Arabes, mais des Indiens – étendent une influence grandissante sur les régions de Malacca et des îles indonésiennes: les populations locales adoptent l’islam sans réticence et permettent la constitution de royaumes, de sultanats musulmans à Java, aux Moluques, à Sumatra, à Bornéo, voire aux Philippines; mais dans ces dernières îles, les Espagnols arrêtent la progression de l’islam; à la fin du XVIIIe siècle, Portugais et Hollandais viennent, là aussi, contraindre les musulmans à reconnaître leur domination: l’expansion de l’islam vers l’est connaît alors ses limites extrêmes.En revanche cette expansion se poursuit en Afrique: aussi bien en Afrique orientale – où, à partir des comptoirs, mais sur une frange assez mince, sauf en Somalie, les Arabes exercent une certaine influence – qu’en Afrique occidentale au sud du Sahara, où l’islam arrive jusqu’aux rives du golfe de Guinée; nombre de chefs locaux y trouvent un élément supplémentaire d’autorité et adoptent cette religion qui apparaît souvent sous l’aspect de confréries. L’islam s’identifie à des groupes plus ou moins importants au sein d’une population largement animiste. Ce sont ces groupes musulmans qui offriront la plus grande résistance à la pénétration européenne au XIXe siècle.3. L’Islam contemporainLe XIXe siècle est considéré comme la période du triomphe de l’impérialisme européen; déjà, avant même la fin du XVIIIe siècle, les Anglais avaient conquis l’Inde et réduit à néant l’Empire du Grand Moghol; par la suite, ils ont tout mis en œuvre pour tenir et protéger «la route des Indes», ce qui explique l’établissement de leur domination sur un certain nombre de territoires musulmans intermédiaires et leur intérêt pour les positions stratégiques détenues par l’Égypte, Aden, les pays du golfe Persique, l’Iran, l’Afghanistan. Plus à l’est, ils se trouvent face aux Hollandais qui occupent l’Indonésie, tandis qu’à l’ouest les Français cherchent à étendre leur influence sur le Levant et qu’au sud de la mer Rouge les Italiens ont des visées sur la Somalie. L’Afrique du Nord et une partie de l’Afrique noire sont l’objet d’une conquête française progressive, cependant que l’Afrique orientale passe sous le contrôle britannique: un continent entier, où l’islam est largement présent, est partagé entre les deux grandes puissances européennes.Celles-ci font des territoires conquis ou dominés, selon le cas, des colonies ou des protectorats, mais quel que soit le régime mis en place, ce sont elles qui imposent leurs vues et leurs conceptions. Dans cette période de déclin politique que connaît alors l’Islam, seul surnage l’Empire ottoman, mais combien affaibli et attaqué, «homme malade» auquel des médecins attentifs, Anglais, Français, Russes, Allemands et autres, ne cherchent surtout pas à redonner la santé. À l’intérieur même de l’Empire, des sécessions se produisent, appuyées sur ces nationalités que les grands sultans avaient soigneusement protégées et qui, soutenues par certaines grandes puissances, obtiennent leur autonomie, puis leur indépendance.Pourtant, dès la fin du XVIIIe siècle, sous le sultan Sélim III et dans la première moitié du XIXe siècle sous les sultans Mahmoud II et Abdülmedjit (‘Abd al-Madj 稜d), des réformes ont été tentées, sans succès d’abord car elles se heurtaient à la résistance conservatrice, opiniâtre, des milieux religieux et des janissaires. Cependant, après la destruction de ceux-ci en 1826, après les leçons tirées de la sécession grecque et de la quasi-sécession égyptienne, commence la période véritable des réformes (les Tanzimat) qui visent à faire de l’Empire ottoman un État moderne, administré selon des principes libéraux, comparables en de nombreux points à ceux des pays occidentaux. Toutefois les obstacles ne manquent pas, et toute modernisation dans l’enseignement, l’armée, l’administration, la justice, l’impôt, dans le costume suscite des oppositions violentes de la part des conservateurs qui crient à l’abandon de l’islam et craignent de voir les minoritaires de l’Empire l’emporter sur les majoritaires musulmans. À cela s’ajoute un élément capital: la domination économique européenne qui s’exerce par l’exploitation des ressources et le contrôle des revenus de l’Empire. Cependant ces réformes, même incomplètes, n’ont pas été inutiles, car elles ont éveillé le désir du renouveau, le souci de s’instruire, de construire un nouvel empire débarrassé des séquelles du passé.Des intellectuels ottomans – turcs et arabes, musulmans et chrétiens – s’ouvrent aux doctrines, aux idées de l’Occident et s’efforcent de les adapter et de les propager en Orient. En Égypte après la campagne de Bonaparte, sous le règne de Méhémet-Ali, en Syrie, au Liban, à Istanbul des réformateurs apparaissent, qui cherchent à penser l’islam en termes modernes et à envisager la conduite de l’Empire d’une façon plus conforme aux nécessités du temps. Ces réformateurs prennent de plus en plus d’influence dans la seconde moitié du XIXe siècle; l’un d’eux, Midhat Pacha, devient grand vizir et tente même de jeter les bases d’un empire constitutionnel, mais son action, trop hâtive, se heurte à l’hostilité des conservateurs et du sultan Abdülhamid II (‘Abd al- ネam 稜d), despote autoritaire qui réduit à néant la tentative (1877). Son despotisme ne fait qu’accentuer le désir de liberté dans l’Empire, et l’Égypte, prise en main par la Grande-Bretagne, se sépare à peu près totalement du gouvernement d’Istanbul, surtout après que la percée de l’isthme de Suez lui eut donné un surcroît d’importance dans le monde politique et économique: redevenue point de passage entre la Méditerranée et l’océan Indien, l’Égypte connaît une nouvelle période de prospérité qui profite d’ailleurs plus aux Anglais et aux Français qu’aux Égyptiens. Contre cette emprise économique et politique s’élèvent de jeunes nationalistes dont les révoltes sont écrasées, en Égypte, au Soudan, en Inde, en Algérie. Si leur échec est complet, elles n’en sont pas moins le ferment d’un nationalisme qu’animent les réformistes arabes; ceux-ci font même école en Turquie où le mouvement Jeune-Turc vise à rénover l’Empire ottoman en s’appuyant sur le panislamisme puis, après la scission entre les Jeunes-Turcs et les Arabes, sur le panturquisme.Le renouveau n’est pas seulement politique. Il s’exerce aussi dans les domaines de la pensée intellectuelle et de la religion. Les lettres arabes connaissent une renaissance (la nah ボa ) particulièrement brillante. Cette renaissance n’est pas seulement le fait des Arabes musulmans: les chrétiens y ont largement participé; mais il est certain que plus le gouvernement ottoman turc se montre autoritaire et plus les puissances occidentales accentuent leur pression économique et politique, plus alors arabisme et islamisme tendent à se rapprocher, à se confondre pour lutter contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur du monde arabo-musulman.Lorsque, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman s’écroule, les Arabes du Proche-Orient pensent pouvoir reconstituer cet État arabe auquel ils rêvent depuis longtemps; mais les puissances occidentales sont encore trop fortes, et le rêve ne se transforme pas en réalité. Nulle part les musulmans ne regagnent le moindre terrain, la moindre parcelle d’indépendance, sauf en deux endroits: l’Arabie d’Ibn Séoud – d’ailleurs contrôlée à distance par les Anglais – et la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk, rejetée par les autres musulmans en raison de son laïcisme.Il faut attendre la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences pour les puissances coloniales européennes: les colonies, protectorats, territoires sous tutelle disparaissent plus ou moins rapidement, de gré ou de force, laissant la place à de jeunes États qui s’encouragent les uns les autres à acquérir leur indépendance; en Afrique du Nord, au Proche-Orient, en Inde, en Indonésie, en Afrique noire, souvent l’indépendance apparaît comme synonyme de triomphe de l’Islam sur la Chrétienté. Mais tous ces États sont dispersés, isolés les uns des autres par des frontières plus ou moins arbitraires; leurs intérêts économiques ou politiques parfois s’opposent, et le pétrole du Proche-Orient arabe ne facilite pas le rapprochement, d’autant que les grandes puissances pétrolières contrôlent étroitement sa production et son exploitation et, par suite, la richesse des États producteurs.Malgré quelques tentatives de regroupement, comme celle de la Ligue arabe, l’unité n’est pas reconstituée; d’ailleurs, en dehors des Arabes, nombreux sont les musulmans qui suivent d’autres voies politiques, en dépit des efforts de rassemblement menés par les pays du Tiers Monde ou les non-alignés parmi lesquels les pays arabo-musulmans tiennent une place importante. Il est indéniable que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays musulmans ont acquis une nouvelle jeunesse et que l’islam connaît un regain de succès.Les aléas de la lutte contre l’État d’Israël ont entraîné, surtout à partir de 1967 et plus encore de 1973, une nouvelle prise de conscience des États arabes, qui ont alors fait jouer en leur faveur les possibilités de l’exploitation pétrolière, et ce au détriment des grandes puissances. La richesse que les pays arabes producteurs de pétrole en ont tirée a, pour une part, servi à apporter une aide aux pays en voie de développement, geste qui a pu être également utilisé comme une propagande en faveur de l’Islam, notamment en Afrique noire.
Encyclopédie Universelle. 2012.